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samedi 24 septembre 2011

SOUVENIRS D'UN MASQUE

Fodéka Kéita donne la parole à un masque africain; écoutons- le parler.


"Regarde-moi dans les yeux, enfant d'Afrique, et ne sois pas étonné si mon visage te paraît marqué de désespoir. Dépuis que je suis enfermé entre les murs de cette salle, mes yeux ont terni, mon fier sourir d'antan a disparu et mes traits ont été figés par la honte. Pendant des années, mille regards profanes ont violé le secret de ma face et la poussière m'a souillé se logeant jusqu'aux commissures de mes lèvres. "Pièce de musée" , c'est ainsi que l'on m'appelle, en dépit de mon auguste barbe. Et pourtant que d'émouvants souvenirs témoignent de mon ancienne grandeur !

Il y a longtemps, bien longtemps, j'étais un des esprits les plus vénérés de cette savane africaine où le sol est si généreux pour les céréales, où les torrents s'assagissent pour devenir des fleuves. Nuit et jour, tout un peuple de fidèles se prosternait et m'honorait. Aujourd'hui, déchu et profané je suis tombé de mon piédestal pour être mêlé à la foule des mortels.

(...) Médiateur entre les hommes et le grand dieux du ciel, le rôle qui m'était assigné était essentiellemnt utilitaire. Comment en aurait-il pu être autrement? A-t-on idée, pour le seul plaisir visuel, d'exposer un dieu, quand bien même ce dieu serait "objet d'art"? Là-bas, sous les tropiques,j'accomplissais conscieusement mon devoir, j'étais heureux de le remplir.

(...) J'ai souvent été chagriné d'entendre les visiteurs s'exclamer en me contemplant: "Quel beau masque de danse!" Comme si une divinité pouvait servir d'ornement de danse! La vérité est qu'à travers le réseau compliqué de ses pas, le danseur conjure le dieu que représente son masque, le remerci d'un bienfait ou lui adresse un voeu. Le masque est sacré et , de ce fait, ne représente jamais un vivant, fût-il roi.

(...) Chaque peuple a ses coutumes et ses lois pour faire respecter cet héritage des générations précédentes que constitue pour lui son code moral. Tandis que les uns usent de sanctions physiques et matérielles, d'autre en appellent à l'autorité des esprits, gardiens et garants des traditions. Je fus l'un de ses gardiens. Mais aujourd'hui j'ai remplis ma tâche; mon rôle est terminé. J'ai transmis mes pouvoirs aux nouveaux masques, mes fils, qui sont encore vénérés dans les villages de la savane et de la forêt.

(...) Faire germer les céréales, appéler la pluie en période de longue sécheresse, répandre l'espoir, écarter les malheurs et prodiguer a joie au son des tam-tams, telle était ma seule raison d'être. Qu'ils m'étaient agréables, ces soirs où, à l'occasion d'une naissance, d'une pêche fructueuse ou d'un mariage, le village tout entier m'exprimait son respect et sa gratitude en exécutant les plus belles danses accompagnées de chants! Tout mon peuple s'extériorisait ainsi sans réserves et sans crainte.

(...)  Que de fois j'ai jubilé en voyant danser mon peuple du haut de mon trône! j'incarnais l'âme des ancêtres et mon rôle était de veiller à l'application de la morale traditionnelle, fondée sur les impératifs de la vie communautaire. Chaque geste, chaque cri des danseurs m'indiquait clairement la satisfaction que ceux-ci goûtaient après avoir accompli la tâche dont ils étaient redevables envers la communauté. Ces souvenirs resteront pour moi toujours vivaces".
                                Michel Huet et Fodeba, Home de la danse (Guilde du livre et clirefontaine, Lausanne)

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